La lecturedu dernier bilan sur l’analyse des accords « risques psychosociaux » signés dans les entreprises de plus de 1000 salariés (1) m'incite à poser la question. En effet, parmi les nombreux constats du rapport, on note deux faits importants.
D’une part, il y a les axes d’actions et un engagement très avancés pour ce qui concerne les actions développées au niveau individuel. Ces axes prennent la forme concrète de formations des managers aux risques psychosociaux ainsi que la mise en place de dispositifs d’écoute psychologique ad hoc. Ces axes sont plus ou moins intégrés dans les processus RH d’évaluation et parfois dans les processus de gestion des carrières. Les formations portent « sur la compréhension de ce que recouvre le risque psychosocial, la position et les exigences de la fonction du personnel d’encadrement, le développement de la capacité à détecter les situations à risques et les salariés en difficulté, et les solutions ou relais proposés dans le cadre de leur prise en charge. Ce contenu est cohérent avec l’importance donnée dans les axes prioritairement retenus à la mise en place de procédures d’alerte (62%) mais aussi aux relations de travail et la conduite de l’entretien d’évaluation (62%) ou encore la mise en place d’une cellule d’écoute psychologique (40%) »(1).
Deuxièmement, en « mettant le paquet » sur la prévention secondaire et tertiaire, on risque à moyen terme, de retourner à la case départ fragilisant ainsi encore davantage les individus mais aussi l’organisation même si on considère objectivement que la survie ou la dynamique d’une entreprise repose à la fois sur une dimension individuelle mais aussi collective. Négliger un des plateaux de la balance ne peut entraîner que des déséquilibres.
Troisièmement, en négligeant les problématiques liées à l’organisation du travail, l’entreprise se prive de sa capacité à se renouveler, ce qui à terme entraînera des effets négatifs : en matière de risques psychosociaux et de qualité de vie au travail, le statut quo, la stratégie de l’évitement ou du strict minimum ne sont pas de mise.
Alors bien sûr, nous n'en sommes qu’au début. Il faut reconnaître que depuis le plan d’urgence de Xavier d’Arcos, il y a une vraie prise de conscience sur l’importance du sujet. La mise en place d’actions de prévention tertiaire et secondaire a le mérite d’exister, mais n’est-ce pas juste le pansement ou la pommade qui sert à cacher la plaie à défaut de la guérir ? Concrètement, qu’en est-il du collectif de travail et plus largement de l’organisation du travail ? Pourquoi les accords, comme le souligne le rapport synthèse du Ministère «passent à côté des enjeux collectifs et organisationnels dans les axes qu’ils retiennent". Pourquoi est-ce si difficile pour une entreprise de remettre en cause son organisation du travail pour favoriser la qualité de vie au travail des salariés et enrayer le désengagement de leurs collaborateurs?
Remettre en cause l’organisation du travail est difficile parce que cela :
- Génère un déplacement des zones d’incertitudes des acteurs et les logiques de pouvoir dans l’organisation
- Nécessite non pas de remettre en cause la stratégie de l’entreprise ou son projet stratégique (ce que beaucoup de dirigeants craignent à tort) mais d’en apprécier les impacts sur de nouveaux axes tels que le travail, l’identité des collectifs de travail, la santé et les modes de coopération entre les individus et les collectifs métier
- Pousse l’entreprise à se placer dans une logique d’innovation à la fois organisationnelle et managériale
- Oblige à mettre en place des espaces d’échange et de discussion sociale « hors champs traditionnels » ; c’est-à-dire des lieux où le dialogue social s’exprime d'une part en dehors des espaces habituellement réservés (tels que les NAO par exemple ou encore les réunions avec le CHSCT) ; et d'autre part, le dialogue social doit être porté également par les managers
Remettre en cause l’organisation du travail est complexe parce que nous vivons en effet un temps de rupture sans précédent où se côtoient deux modèles. L’ancien modèle qui a pris racine dans une révolution industrielle qui date de plus d’un siècle. Cet ancien modèle a permis la naissance d’organisation et d’un management tayloriste auxquels ni le juste à temps, ni la qualité totale, ni les nouveaux modèles d’organisation aplatie, éclatée, en réseau ou amaigrie par le lean management n’ont réussi à effacer. Quant au nouveau modèle, bienheureux celui qui saura dire à quoi il ressemblera car en fait il n’existe pas encore! Nous sommes dans une phase de transition vers autre chose où les systèmes de management doivent s’adapter et les pratiques de gestion des hommes se réinventer!
Devant tant de complexité et de difficultés, on voit bien que l’organisation du travail doit véritablement faire l’objet d’une réflexion particulière. Comment mener cette réflexion en interne ? S’il est certain que la direction générale doit s’impliquer sans condition dans la réflexion, il n’en demeure pas moins que c’est bien au DRH de définir, mettre en musique, piloter et mettre en place les chantiers appropriés pour réviser l’organisation du travail avec le management de proximité…
(1) voir Bilan des accords RPS signés dans les entreprises de plus de 1000 salariés sur www.travailler-mieux.gouv.fr
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