Retour sur le texte de loi en clair
Ca y est ! Après la prime de fonction et de résultat liée à la performance individuelle promulguée par le décret 1533 du 22 décembre 2008, les fonctionnaires toucheront bientôt une prime d’intéressement liée à la performance collective (PIPC)! Pour la rédaction de ce billet, je retiens en particulier que cette prime sera versée à tout agent public (magistrats, fonctionnaires et agents non titulaires des administrations de l'Etat et de ses établissements publics) exerçant ses fonctions dans les directions ou services dont les résultats auront été atteints. Ces résultats portent sur (1):
- L’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers,
- La maîtrise des coûts,
- La gestion des ressources humaines et développement durable.
On lit également que les modalités d’attribution la PIPC sont liées aux conditions de présence effective des agents, a un caractère forfaitaire, et qu’il est possible pour les agents de la cumuler avec d’autres indemnités. Elle est également attribuée à l'ensemble des agents dans les services ayant atteint, sur la période de douze mois, les résultats fixés (la période peut également s’inscrire dans le cadre d’un programme d’objectifs pluriannuels).
Ces quelques éléments retenus ci-dessus posent selon moi des questions de fond. Mais avant d’y répondre, il me semble important de clarifier pourquoi la performance collective répond-t-elle aux limites de la performance individuelle.
La performance collective répond aux limites de la performance individuelle
Les déterminants de la performance collective sont multiples. Ils reposent sur les compétences des salariés, l’efficacité des modes de coopération et de partage de connaissance ; la capacité à contribuer à l’apprentissage organisationnel ; la confiance entre les employés et la hiérarchie mais aussi entre collègue ; la capacité des individus à appliquer les procédures mais aussi à en sortir ; la réactivité des collaborateurs pour répondre à des situations complexes ou inattendues. La performance collective se confond incontestablement avec la performance organisationnelle.
Premièrement, la performance collective est un moyen de pallier les limites de la performance individuelle. La logique de la performance individuelle est en effet liée au poste de travail de l’individu laissant ainsi peu de place au collectif de travail. Or avec les nouvelles formes d’organisation du travail (projet, réseaux, lean), le travail contient une forte dimension collective et le rôle du collectif joue un rôle majeur dans l’atteinte des résultats ou la délivrance du service ou du produit final. De ce fait, on ne peut se contenter d’évaluer uniquement la performance individuelle.
Troisièmement, la performance individuelle tend à individualiser les rapports sociaux dans l’entreprise et à freiner la coopération. Ces rapports et cette coopération sont indispensables pour construire des collectifs de travail et le lien social qui aujourd’hui fait défaut dans beaucoup d’organisations. Ces défauts de liens sociaux ont des conséquences néfastes sur la qualité de vie au travail, les conditions de travail, et augmentent le niveau de désengagement et de démotivation des collaborateurs.
Quatrièmement, le concept même d’évaluation de « la performance individuelle » est tout simplement trop restreint. Il est préférable de le remplacer par évaluer « les performances au travail », car c’est bien de cela dont il s’agit. Il n’y a pas UNE performance mais DES performances plurielles. Les gens sont dans une entreprise pour travailler…Mais, arrêtons-nous deux secondes; et demandons-nous concrètement ce que signifie « Travailler » ? Répondre aux objectifs ? Honorer son contrat de travail ? Exécuter ce qui a été demandé par sa hiérarchie ? C’est un peu tout cela, mais pas seulement : sinon on s’ennuierait au travail ! Pour reprendre un titre d’ouvrage que j’ai trouvé passionnant, le travail est aussi une aventure collective (2).
Devant de telles limites, la mise en place de systèmes d’évaluation permettant d’augmenter son salaire par une contribution à la performance collective devient une évidence, même s’il convient de conserver en parallèle la performance individuelle. En d’autres termes, l’évaluation à mi- année et /ou fin d’année doit être un mixte d’évaluation individuelle et collective qui s’intègrerait dans un processus global « d’évaluation des performances au travail ».
La mise en place de l’évaluation de la performance collective dans la fonction publique pose tout de même quelques questions compte tenu les dynamiques de transformation de ce secteur.
Question 1 : le collectif de travail des services concernés aura-t-il la motivation, le désir d’atteindre les résultats demandés compte tenu du contexte de réduction de moyens et d’effectif de la fonction publique ? Tous les pays de l’OCDE sont engagés depuis plus d’une quinzaine d’années dans des cures d’amaigrissement. Certains ont commencé très tôt comme les pays scandinaves ou le Canada. La France, un peu plus tard, en juillet 2007 via le lancement officielle de sa RGPP. D’autres pays, au bord de la faillite, commencent à peine et dans la douleur en espérant qu’il n’est pas déjà trop tard comme la Grèce ou les pays ibériques …Posons autrement la question : le collectif ne va-t-il pas au contraire rentrer en résistance ?
Question 2 : Comment l’organisation du travail doit-elle évoluer pour que la performance collective devienne une réalité ? Je ne parle pas ici de la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire, les structures, le qui fait quoi, les processus ou les fameux RACI, en d’autres termes tout le prescriptif dicté pour sécuriser les dérives, les égarements organisationnels, ou pour mettre les « choses sous contrôle ». Je veux parler des marges de manœuvre qui seront données aux fonctionnaires pour accomplir leur travail au quotidien face aux usagers que nous sommes, la régulation du travail à tous les niveaux et surtout la capacité du management à innover avec leurs collaborateurs et à participer au dialogue social. L’innovation managériale sera peut être encore plus difficile dans le secteur public que privé.
Question 3 : Et pour les fonctionnaires qui voudront jouer le jeu de la performance collective (ceux qui ne sont pas entrés en résistance, ni en burn ou bore out, ni partis à la retraite), ne seront-ils pas victimes tôt ou tard du syndrôme du survivant (c'est toujours plus facile pour ceux qui partent que pour ceux qui restent dit un adage) ? Lors de fortes dynamiques de transformation , des études ont prouvé que ceux qui restent se sentent souvent coupables et le fait de rester crée l’effet inverse de ce qui était attendu : les survivants se désengagent progressivement. Dans le contexte de transformation de la fonction publique, le syndrôme du survivant est un facteur de risque majeur, bien que les fonctionnaires aient à coeur de bien faire leur travail, et dans des conditions acceptables.
Question 4 : Comment accompagner un tel changement ? Par où commencer ? Qui mobiliser vu le contexte de rationalisation qui s’abat sur le secteur public ? Quelle stratégie adoptée ? Sur la question de l’évaluation de la performance, nous ne sommes pas uniquement dans le registre organisationnel ou le registre de la formalisation des processus ou de critères d’évaluation que l’on va ensuite paramétrer dans un système d’information : nous sommes dans le registre du changement de culture !...
Comment cela se passe-t-il ailleurs ?
La mise en place d’un double système d’évaluation associant performance collective et performance individuelle est pratiquée par la fonction publique Suisse depuis maintenant plusieurs années. Afin de connaître les freins et les leviers de l’évaluation de la contribution des agents à la performance collective, une étude(3) a été réalisée en Suisse pour comprendre les facteurs qui favorisent, ou freinent, la manière dont les agents publics ressentent ou perçoivent leur contribution à la performance collective.
Parmi les facteurs favorables, l’étude retient les points suivants:
- le fait que l’agent ait le sentiment de travailler réellement pour « l’intérêt général », pour le « bien-être collectif » est un facteur positif contribuant à la performance organisationnelle : plus ce sentiment est élevé et plus la motivation, le plaisir au travail et la satisfaction des agents seront élevés et contribueront à la performance collective.
- la compréhension claire du rôle des agents ainsi que des activités est également corrélée positivement avec la performance collective.
- Le fait de favoriser la prise de parole, la participation et l’autonomie sont des facteurs de contribution à la performance collective
- Le partage des valeurs et de la vision prônée par les supérieurs hiérarchiques sont perçus comme des éléments favorisant un ressenti positif de la contribution à la performance collective, tout comme le fait que l’organisation soit apprenante, dans la mesure où les erreurs commises ne sont pas imputées aux individus, mais servent plutôt à perfectionner le système de gestion.
En conclusion, cette étude nous apprend que le ressenti des agents à la contribution de la performance collective est davantage lié à une gestion efficace des ressources humaines, l’ambiance de travail, à un pilotage organisationnel efficace et au sens donné au travail.
Quant aux freins, ils sont surtout liés à des éléments d’ambiance et de rigidité organisationnelle. Ces derniers peuvent jouer négativement sur la performance organisationnelle. Ainsi, plus l’ambiance de travail est dégradée et plus les agents considèrent leur organisation comme rigide, et donc moins performante.
Pour conclure ce billet, je dirai que la mise en place d’un système d’évaluation basé sur la performance collective doit donc être réalisé en introduisant des facteurs organisationnels (qui fait quoi, dialogue social élargi, c’est-à-dire ne reposant pas uniquement sur un dialogue avec les partenaires sociaux, etc.) mais aussi et surtout des éléments fondamentaux tels que le sens au travail (ce que je fais a-t-il du sens ? »), la motivation à l’égard du service public (ou du client si on est dans le privé), les conditions de travail, la confiance et la coopération source de motivation. Que l’on soit dans le secteur public ou le secteur privé, l’évaluation de la performance collective devient ainsi un levier de la performance sociale car in fine, elle est un facteur contribuant au développement sociale dans l'organisation. L'évaluation de la performance collective est aussi certainement un levier d’innovation managériale. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une innovation managériale radicale mais l’introduction de ce type d’évaluation pourrait bien conduire à terme à une redéfinition non seulement du processus global d’évaluation des salariés au travail mais aussi du processus de rémunération. Seul l’avenir et les organisations voulant réellement innover nous le diront !
(1) Pour l’intégralité du décret, voir http://www.legifrance.gouv.fr, Décret n° 2011-1038 du 29 août 2011
(2) Le travail : une aventure collective (Gilbert De Terssac). Lire aussi l’excellent livre de Dominique Zimmermann « ce que travailler veut dire »
(3) David Giauque, Les leviers de la performance individuelle et collective dans les organisations publiques Suisses (2008)
Merci pour cet article qui a le mérite d'être clair et concis. La performance collective doit en effet être évaluée et il serait intéressant que le principe d'évaluation de la performance collective soit généralisé également dans le privé. Cela suppose que l'entreprise soit capable de comprendre comment fonctionne son collectif de travail et là, je crois que ce n'est pas gagner d'avance.
Rédigé par : dorémifasol | 03 octobre 2011 à 23:48
Madame,je partage votre analyse que je félicite pour sa justesse. Je suis moi-même fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Nous sommes contents de savoir que le collectif va être pris en compte dans l'évaluation (enfin!), mais on se pose tout de même des questions. Comment tout cela va-t-il se faire? Les choses vont beaucoup trop vite et on a même pas le temps de digérer les réformes. Dire qu'on est balloné ou en phase d'indigestion prouverait au moins qu'on commence à s'adapter! Mais on en est même pas là :tout est encore coincé dans la gorge (on en a tous en travers de la gorge d'ailleurs). On est en phase de broyage et de ce qu'il restera de ce broyage reste à mes yeux une grande question...Peut-être que le résultat du broyage sera les survivants comme vous dîtes.
Tchao et continuez à écrire car je trouve votre blog intéressant.
Jacques C.
Rédigé par : Fonctionnaire fatigué | 10 octobre 2011 à 11:30